La
femme et l’enfant
Récit
L’enfant se tenait
debout devant sa mère qui était peut-être assise ou peut-être pas. De toute
façon elle avait l’impression que sa mère la surplombait. Elle avait la
sensation d’avoir été retenue au moment où elle s’était approchée de sa mère
lors d’un jeu ou pour lui demander un baiser. De toute façon son intention
n’était pas d’être là en ce moment. Peut-être elle devinait au regard de sa
mère ou à son expression d’attente qu’on lui aurait proposé un discours sérieux
qu’elle n’avait pas envie d’écouter. De toute façon elle n’était pas à l’aise.
La mère étalait un grand sourire et une émotion tremblante se cachait en elle.
Sa voix à peine hésitante affichait de l’assurance. Elle disait à la petite
fille : « Bien, maintenant que tu as vu l’appartement hier, avec
Giorgio, que m’en dis-tu? ne me dis-tu rien ? te plait-il ? ».
En effet, après leur visite à
l’appartement, elle n’avait eu absolument rien à dire à sa mère. Elle n’avait
pas du tout compris pourquoi elle avait été emmenée là toute seule par un
inconnu qu’elle ne souhaitait pas du tout rencontrer et qui lui était
indifférent. Sa mère lui avait dit plus ou moins qu’il fallait la ménager cette personne, car il était bien gentil à vouloir s’occuper d’elle, la petite,
en cette occasion. Mais pour quoi faire, se posait-elle la question, puisque je
n’ai rien demandé, et je n’ai besoin de rien de sa part ? Pourquoi la
mettait-on dans l’obligation de satisfaire les attentes inconnues d’un
inconnu ? Que c’est qu’elle avait à faire avec lui et lui avec elle ?
Surtout aurais-je fait quelque chose de mal pour qu’on me dise d’être polie et
obligée maintenant? Comme si la mère avait a
priori quelque chose à lui reprocher à ce sujet.
Elle avait quand
meme essayé être polie, de lui sourire et de lui manifester de l’intérêt. Elle
avait essayé de prendre confiance avec l’appartement en parcourant ses espaces.
Il était grand, lumineux et calme et en meme temps vide de vie et solitaire.
Pas désagréable, il restait étrange et étranger. Mais, après cet interlude
incompréhensible et parfois ennuyeux elle espérait bien avoir le droit de
revenir à ses activités habituelles sans autre obligation.
Sauf qu’après
quelque temps – jours? heures ? voilà la question refaire surface. Elle
était debout devant sa mère et elle aurait voulu que sa mère l’embrasse. Mais
sa mère n’en avait pas envie. Elle attendait donc ses mots. A sa demande sur
son sentiment vers l’appartement l’enfant avait ressenti qu’on s’approchait une
fois de plus à un sujet chaud. Elle savait déjà très bien que sa réponse ne
pouvait pas être libre. En cette occasion il lui fallait être polie, et elle
donc répondit d’un air un peu embarrassé et forcé que oui, il était bien, alors
que elle n’en avait vraiment rien à dire, car cette chose là à ses yeux ne la
concernait guère. Elle souhaitait plus que toute autre chose terminer cette
conversation non voulue.
Mais le pire devait
arriver.
« Bien, tu l’as
vu, il t’a plu. Donc on ira bientôt s’installer là-bas. » « Mais
j’aime bien être ici… et les grands parents ? ». La mère fit une
grimace. Sa mère continua : « Tu auras ta chambre à toi… on emmènera
tous tes jouets… il y aura plus de place.
Et puis, tu viendras chez les grands parents tous les jours après
l’école. Contente ? Alors tu dis oui ? Es-tu bien d’accord? ».
Son ton, bien que calme et presque tendre à l’apparence n’admettait pas de
réplique. Il contenait à peine son excitation et ses émotions. L’enfant ne sût quoi faire. Quitter ses grands parents,
leur bel appartement si plein de vie, de gens, de soleil, des plantes sur les
terrasses, si familier ? Que
pouvait-elle faire, devant la demande pressante de sa mère ? et encore plus devant son [de sa mère]
émotion ? Il fallait la contenir car elle était gigantesque. Une attente
énorme, une demande tacite « Dis moi que cela te plait, dis-le sans que je
te le demande » qui menaçaient bien de l’écraser, de la submerger comme une
vague au bord de la mer justement. Elle aimait bien les vagues. En été sa joie
était les jours de tempête, une tempête méditerranéenne bien sur. Elle
s’amusait à prendre la vague au moment où cette-ci se brisait sur le littoral.
Après avoir connu la peur d’être écrasée elle avait compris que la vague
n’allait que la faire rouler pour ensuite la regorger sur le sable de la ligne
de flottaison, et ensuite recommencer. Elle y passait maintenant des heures. Sa
mère insistait. Elle accepta, car elle se sentit obligée de le faire. Mais elle
paniquait et elle se sentait brisée par la douleur et par l’angoisse. Une sorte
de vide sans borne qui s’ouvrait en elle. Un vide noir et rouge mais sans image
claire. En même temps cela lui faisait de la rage. Il fallait aussi contenir sa
propre rage, ne pas la laisser pousser.
Sans la force de tenir, la seule échappatoire possible lui
parut négocier un sursis, un délai. « Mais pas tout de suite, maman, pas
tout de suite ! » Le visage de sa mère se brouilla de plus en plus.
Je ne sais plus combien je lui en demandais, mais enfin ce fut :
« Jusqu’à Noël, maman, jusqu’à Noël ! » Il manquait quelque
mois, mais Noël était si loin pour la fille. C’était la fête mythique quand
tout devenait possible. Entre temps, peut-être, elle va oublier cette
absurdité, espérait la petite fille. Elle pourrait changer d’avis si elle y
réfléchit, puisque moi je n’arrive pas lui faire comprendre que… je ne peux pas
m’opposer : maintenant elle ne dira pas oui.
Quelques jours
après, c’était un jour de fête, je me suis levée et je me suis précipitée à la
foulée en cuisine. Les matins des jours de fêtes on se retrouvait tous là, en
robe de nuit. Mon grand papa buvait son petit café noir bien sucré du matin
assis sur un tabouret. Les autres se préparaient leur petit-déjeuner, jamais
fort copieux d’ailleurs, dans tous les coins. La table et presque tout l’espace
étaient occupés par ma grand-maman qui repassait le linge de la semaine. Moi,
j’aimais bien l’aider à plier le linge et à repasser des petits pièces, les
mouchoirs, les serviettes de table, les serviettes, les caleçons... Le soleil
envahissait la pièce par tous ses rayons chauds. Tout n’était que lumière et
bavardage, parmi la blancheur éblouissante du linge propre en coton épais, si
réjouissant sous les doigts et les mains.
Pas ce jour-là.
Personne autour de la table, rien dessus. Seule, ma grand-maman était appuyée à
la table en lui donnant son dos. Quelque part il y avait peut-être le rouleau à
pâtisserie, chose insolite et incompréhensible, car on ne faisait jamais la
cuisine à cette heure-là. Elle avait une moue que je ne lui connaissais pas
mais qui m’inquiétait. Je m’approche d’elle, je ne savais pas si elle était
peut-être en colère ? Elle me serre entre ses bras et elle pleure. Je me
souviens encore de ses larmes qui coulent de ses yeux tandis qu’elle me serre
si fort que j’en ai peur. Du jamais vu, mamie qui pleure, c’est impossible,
inconcevable, incompréhensible. Je ne peux pas gérer pareille émotion toute
seule. Je me débats et je me précipite appeler ma maman au secours. Est-ce que
c’est vrai que vous partez ? me souffle ma grand-mère. Es-tu bien
d’accord ? Pas devant elle ! qu’as-tu fait ! lui rétorque ma
mère, alors que ma grand-maman, humble et effrayée de son audace s’excuse avec
peine. Je ne peux pas tenir, je ne peux pas résister, je ne peux pas je ne peux
pas ! Je m’enfuis quelque part me cacher, ses histoires de départ je n’en
veux pas savoir, du reste, encore Noël, il y a encore Noël, après, qui
sait ? Si ma grand-maman pleure ainsi elle va peut-être changer d’avis.
Je ne sais même plus
si j’ai été obligée par la suite de la rassurer en lui disant que oui, on me
l’avait bien demandé et que oui, je donnais mon libre consentement…
Et enfin il arrive
ce jour de Noël, ou mieux des rois, juste avant la rentrée scolaire, car après
Noël nous étions partis, mon grand-papa et moi, chez mon arrière-grand-mère qui
habitait à Milan avec sa fille puinée. Encore gâtée dans leur petit
appartement, puis les longues heures de retour dans le train avec les lasagne
toutes chaudes dans leur boîte en métal achetées par mon grand-papa à la gare
de Bologne comme goûter… Le soir, il est tard, on arrive, l’odeur du train, de
la machine, une odeur graisse et âpre en même temps. Pendent tout mon séjour je
le savais, je le savais très bien que quelque chose d’horrible était lourde sur
moi. Elle allait s’approcher, car la mère n’avait pas changé d’avis et moi je
n’avais pas la force de changer ces choses horribles. J’étais impuissante, tout
était fini, la joie, les rires, les matins gorgés de soleil, les embrassements
de ma grand-mère, son regard sur moi lors de mes jeux d’enfant : tout
serait devenu étranger, éloigné, il n’aurait plus fait partie de ma vie.
J’étais destinée à devenir nomade et sans âme, tiraillée entre un lieu où
j’étais obligée de résider et un lieu qui n’était plus chez moi et où je
n’aurais pu que passer sans réellement m’y arrêter, sans lui appartenir à
jamais. Sans jamais appartenir à un lieu qui ce soit, excepté celui de la
mémoire de ma propre histoire sanglante de douleur et secouée par de sanglots
qu’il fallait bien réfréner, car, on ne fait pas des histoires comme ça tout le
temps. A la mort des grands parents
j’aurais aimé récupérer leur appartement. Mais les autres voulaient le vendre
et moi je ne pouvais pas l’acheter toute seule. Il est parti, encore une fois.
Je n’ai même pas pu sauver les pots de fleurs des terrasses plantés par mon
grand-papa avec tellement d’amour, des géraniums anciens tous rouges d’un rouge
vif avec les feuilles un peu velues, d’un vert brillant, car les autres les ont
jetés à la poubelle sans que je le sache. Son héritage uniquement immatériel
est devenu pour moi le petit village aux Alpes qu’il aimait plus que Rome ou sa
ville d’origine, Milan. J’y reviens tous les ans comme lui il le faisait depuis
son plus tendre enfance.
On me dit que je me
suis révoltée. Je n’arrive plus à reconstituer une scène qui a du me coûter
trop cher. Je me souviens d’une nébuleuse où je disais « Non non
non » et elle me disait « Tu l’as dit, tu l’as promis, c’était pour
Noël, maintenant ce sont les rois ! ». Elle était furieuse, moi, je
l’étais aussi. Mon dernier souvenir est celui d’une fillette de huit ans
renversée sur les bras de sa mère, sa tête à droite et ses pieds à gauche, qui
donne des coups de pied en l’air et qui crie à l’univers en sachant que
personne ne l’entendra. Elle me dit de ne pas le faire car c’est indigne. Ai-je
eu peur ? Ai-je arrêté par honte? La gare autour de nous. Je ne sais
pas comment nous sommes arrivées chez « nous » je ne sais pas comment
ai-je monté les escaliers, au moins trois étages sans ascenseur, ni comment me
suis-je couchée cette nuit, je ne sais pas quels ont été nos mots depuis.
Je ne sais pas, je
ne sais plus. Après, tout est devenu noir. Noir de désespoir, rouge de colère.
Le rouge et le noir
de mes fantaisies.
Mais j’aime encore
tellement l’or. L’or pur du soleil qui frappe sur la blancheur des draps épais,
la Flandre des nappes, la souplesse des serviettes...
Je suis restée avec
le sentiment d’avoir eu l’occasion de parler lors de ce colloque mais de ne
l’avoir pas fait jusqu’au bout, d’avoir dit oui pourvu que ce soit après Noël.
Donc je n’avais pas été capable d’exprimer mon refus au bon moment. J’avais
négocié sans réellement vouloir ce que je demandais et sans avoir la force de
tenir ma promesse depuis. En fait, ce que je n’avais pas la force de tenir,
c’était ma volonté de vouloir la meme chose que maman. Ce qui était interdit.
Sans vraiment le dire, mais interdit. On l’a dit par la crainte et la
contrainte, sans explication. La promesse et la volonté se sont fondues
ensemble dans quelque chose d’inextricable, de lié à jamais. Depuis lors, tout
devenait ma faute. Après ne pas avoir su profiter de la chance de refuser qu’on
m’avait offerte, je gardais le sentiment de n’avoir plus le droit de me
plaindre.
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